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Nathalie Pierre

Projet de Nathalie Pierre sur les Bozos et les Yégous > Synopsis>Retour Présentation

Bozos et Yégous, maîtres de l'eau

Dans la trilogie documentaire des peuples Bozos et Peuls, nomades de la Boucle du Niger :

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de Nathalie Pierre


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de Eric Veyssy

L’aube. La brume s’élève, s’évapore en volutes sur le fleuve. Des hommes discutent dans une pirogue, des enfants s’ébrouent dans l’eau. Le paysage, la végétation, au loin, est comme une esquisse incertaine, estompée. Les pirogues tanguent doucement.

Près du rivage, des femmes nettoient des ustensiles de cuisines. Sur la berge des hommes réparent leurs filets, non loin des paillotes où les feux, petites touches vives, sont déjà activés. Des enfants jouent, courent parmi cette communauté humaine où chacun vaque à ses occupations. Autour d’eux, avec eux, le monde animal. Des poules se disputent quelques miettes, tandis qu’un âne broute paisiblement.

Le soleil a percé et commence à inonder le paysage. Mamadou et Yssouf finissent de charger des sacs dans leur pirogue. Derrière eux, un arbre étrange, racines tentaculaires, minces et fragiles, loin de l’eau, portant le tronc à deux mètres au-dessus du sol.

Tandis qu’ils s’éloignent du rivage, la voix d’un ancien raconte une légende sur l’origine de leur peuple et cette intime parenté avec les Dogons. Leurs femmes et enfants, sur la rive, les saluent. Leurs reflets disparaissent dans les remous des flots.

Tranquillement l’embarcation glisse sur l’eau. Mamadou avec sa perche est à l’avant, Yssouf prépare un thé.
La végétation, l’eau, le ciel et les hommes semblent s’être accordés un temps fusionnel, un tableau en mouvement.

La lumière est devenue plus crue, le ciel plus blanc. La pirogue accoste sur la rive. Des enfants accourent. Descendus de leur embarcation, un homme au sourire chaleureux les surplombe et les accueille. Mamadou et Yssouf montent au-devant  de lui, en le saluant, et lui demandent si c’est bien ici que se trouve Mama Kamaï Sabé.

Une maison de terre entourée de végétation offre une touche de fraîcheur. Une femme trie du poisson, deux hommes réparent une pirogue. Un jeune homme les conduit à l’ombre d’un arbre où se trouve le fameux Mama Kamaï Sabé. C’est un très vieil homme au regard vif.
Après l’avoir salué et offert des noix de cola, Mamadou et Yssouf se présentent et annoncent le pourquoi de cette visite. 

« Nous sommes convertis à l’islam et, jusqu’à maintenant, les coutumes et récits de notre peuple nous apparaissaient effrayants, diaboliques. La pêche ne semblait pas devoir faire intervenir des savoirs occultes et nous ne voulions pas entendre parler des génies d’eaux.
Mais aujourd’hui nous aimerions vous entendre. Quelles histoires es tu prêt, l’ancien, à nous raconter ? Quels savoirs pouvons nous partager ? Que sais tu du monde des génies ? »

Le visage du vieux semble s’illuminer, qui eut cru qu’à l’orée de sa vie, il pourrait enfin partager ses connaissances ? La religion musulmane semblant avoir posée son glaive vainqueur sur les nouvelles générations.

Il s’éclaircit la voix et commence à raconter…

La douceur émanant de son visage, appuyé d’un léger trait lumineux, la profondeur de son regard lui confèrent l’aspect d’un sage. Autour de lui, le paysage alentour s’amenuise, s’arrête sur des détails, une nasse suspendue, s’élargit sur la rénovation de la pirogue, fixe un harpon pouvant « appeler » le poisson… Paysage au moment de la crue. Lumière blanche. Des hommes pêchent aux harpons. Mama Kamaï Sabé termine son récit et confie, à Mamadou et Yssouf, le nom de Alaï Sidi Kayentao. Il vit à quelques kilomètres de là, en aval du fleuve. Il pourra enrichir leur quête.

La pirogue reprend son errance sur le Bani et le tableau reprend vie en cette fin d’après-midi. Courbes et scintillances du fleuve répondant aux paysages des rives.
La pirogue fend l’eau, puis s’immobilise. Yssouf, épervier à la main, le déplie, l’enroule d’un geste ample autour de son bras et le jette.

Une voix raconte un bien étrange récit :

« Il existe dans l’eau un poisson qui a une ressemblance avec le capitaine. Les Bozos se méfient de lui parce que c’est comme un génie. D’ailleurs les Bozos ne peuvent même pas le prendre. C’est le « Siaoui ». Même si un Bozo arrive à le prendre dans ses filets là, il va avoir une très grande surprise car le poisson disparaît, même si on arrive à l’entourer avec un grand filet, même si vous êtes 10 hommes et s’il est dans le filet, il peut vous tirer sous l’eau. Maintenant, s’il n’a pas eu cette puissance, de vous tirer sous l’eau, il disparaît comme ça. Il ne déchirera même pas votre filet, par magie, il disparaît. Et à présent on n’a pas vu un cadavre de ce poisson. Ce même poisson, si par malheur tu arrives à le capturer et l’abattre dans ton filet, si le lendemain tu ne meurs pas, ton père meurt. »

Perles d’eau et de lumière autour du cercle formé par le filet. Yssouf le ramène à lui et jaillissent, frétillent dans l’embarcation, les poissons capturés.

Les silhouettes d’un groupe de femmes et d’enfants se découpent dans les derniers rayons du soleil. Les chants et cris du réveil de la faune nocturne montent de plus en plus intensément.

Trois aubergines jetées de la pirogue disparaissent dans l’eau.
L’embarcation a repris son tranquille cheminement. L’air est frais, embrumé.
Sur la droite, un chasseur vêtu de sa tunique brune, ornée de cauris (petit coquillage qui autrefois servait de monnaie) et d’un  drôle de chapeau pointu, échange un signe de main avec Mamadou et Yssouf. Sur l’autre rive, un jeune berger Peul, appuyé sur son bâton, surveille, nonchalamment, son troupeau se désaltérant.

Une voix raconte :

« Depuis toujours, Peuls et Bozos sont amis. Les Bozos avaient des bœufs. Pendant la saison des pluies, le bœuf a mangé l’herbe pendant l’hivernage. La pluie a transmis la connaissance au bœuf, le bœuf au Peul. Et comme le bœuf appartenait aux Bozos et qu’ils étaient amis, le Peul l’a retransmis au Bozo qui a laissé le bœuf au Peul. »

Étranges bœufs, avec cette bosse réservoir et des cornes en formes de lunes…

Plus loin, les deux frères croisent des pirogues  chargées au-delà de leur ligne de flottaison.
Échanges vifs, chaleureux, colorés entre les différentes embarcations et la population s’activant sur les berges.

Eloigné de cette agitation, le devant de la pirogue glisse, s’échoue, sur  le sable.
Mamadou et Yssouf, montent et disparaissent derrière un talus. Ruelles d’un village aux façades de terres sculptées et ajourées. Voix d’enfants récitant une leçon.

Les deux frères sont assis en face d’un vieil homme, entouré de trois de ses amis.
Alors qu’il a entamé son récit, il l’interrompt brusquement. Un dignitaire musulman est apparu. Derrière lui nous découvrons la mosquée. Échanges vifs, marquant la fin de cette rencontre.

Comme Mamadou et Yssouf repartent, dépités, un homme, présent à la discussion, accourt et leur conseille de se rendre à Wougoudan, rencontrer Mamadou et Mama Magnentao.

Profitant du vent, Mamadou et Yssouf, improvisent une voile à l’aide d’un drap. Un arbre perché sur ses racines, attire leur attention.

Plus loin sur le rivage, un petit groupe d’hommes, femmes et enfants s’activent dans la construction de briques, à la réfection de leurs maisons, avant la saison des pluies. C’est ici que vivent Mamadou et Mama Magnentao.
Croisant et suivant des porteurs de briques, Mamadou et Yssouf trouvent leurs interlocuteurs sous un large abri de paille. Ils réparent leurs filets, des enfants les regardent. Après avoir délicatement posé aiguilles et filets, les deux pêcheurs, à tour de rôle, relatent leurs histoires, racontent leurs ancêtres et des zones de pêche très particulières.
Ambiance pluvieuse de l’hivernage et découverte de la faune en bordure et sur l’eau. Un étrange visage végétal  observe le regard des enfants captivés par les récits.

Mamadou et Yssouf ont repris leur navigation et guettent, en cette fin d’après-midi, l’accès à un petit chenal.
Des enfants, aux larges sourires, et des femmes les accueillent. Trois femmes légèrement en retrait, préparent leurs nasses. Vers trois, quatre heures du matin, elles rejoignent un marigot et pêchent les pieds dans l’eau.

« Les œufs venus avec la pluie, tombent dans les marigots, et quand il y a éclosion, ce sont des larves d’abord de crapauds. Il y en a qui perdent leurs queues qui deviennent des crapauds, ceux qui gardent leurs queues deviennent des silures. C’est donc la queue qui fait la différenciation entre les crapauds et les silures.
Il y a une espèce de poisson qu’on appelle le kongon qui provient de la même métamorphose.
Il y a un poisson qui s’appelle nié c’est la même chose. »

Le jour se lève peu à peu.

Mamadou et Yssouf, au loin se dirigent vers la berge. Près d’un village se trouve un bateau épicerie. Ils en profitent pour échanger du poisson contre quelques denrées.
Une large pirogue passe. L’homme est à la poupe pour manœuvrer, sa femme, assise, cuisine au milieu sur un brasero d’argile. Les enfants sont installés sous un auvent de paille.

Une vaste cour, avec plusieurs habitacles, des animaux domestiques et une femme fumant du poisson. Alaï Sidi Kayentao et sa femme Djénaba apparaissent et s’installent sur des nattes, près d’un feu.
Dans la nuit, près de ces flammes faisant vaciller les corps, Alaï Sidi Kayentao, commence son récit. Les couleurs du feu nous transportent sous la pluie, en ce même lieu. Le grand père paternel de sa femme était marié à une femme génie et tout près d’ici se trouve l’habitacle terrestre et occasionnel d’un Yégou. Dans une étrange lumière, les ombres des deux frères et de leurs interlocuteurs tombent sur la terre de ce tumulus (amas de terres et de pierres). Il nous montre un endroit du fleuve où selon les moments il est possible d’apercevoir d’étranges remous, traduisant la volonté d’un Yégou de monter à la surface.

Quand son récit se rapporte à Sombata, qui a vécu dix sept ans sous l’eau, la fille de celle-ci intervient entre les flammes et raconte quelles relations elle entretient avec les Yégous, nomme des génies et montre leurs lieux de vie. Deux fillettes jouent près de l’eau avec leurs poupées, il n’y a plus d’horizon, la terre et le ciel se sont rejoints.

La pirogue arrive dans l’effervescence du port de Mopti, là où le Bani rejoint le Niger.

Tandis que Mamadou et Yssouf, en profitent pour quelques achats, leurs regards parcourent cette ruche humaine. Transactions, palabres entre marchands et clients.
                               
Changement de paysage, ils sont entrés dans la région des lacs.

Les hameaux ont fait place à de véritables villages de paillotes aux ruelles étroites.
 
La fin de la saison sèche s’achève, les Bozos vont retourner auprès de leurs familles, restées sur les berges en amont, tandis que Mamadou et Yssouf disparaissent dans la brume, dans un paysage où il n’existe plus de frontière entre le ciel et le fleuve. Comme si eux-mêmes entraient dans cette légende.

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